Rapport concernant la dénomination des voies publiques en région de langue française

par André Goosse

Rapport paru dans le
Bulletin de la Commission royale de toponymie & dialectologie (Bruxelles),
tome LV, 1981, pages 29-38

I. Règles officielles

1. Le Conseil communal est seul habilité à décider de la dénomination des voies publiques, que ce soit pour donner un nom à une rue qui n’en a pas encore, ou pour changer un nom existant.

2. Il doit consulter la Section wallonne de la Commission royale de toponymie et de dialectologie (voir les adresses ci-dessous). Les demandes d’avis doivent être accompagnées d’une justification claire, circonstanciée, complète, comprenant entre autres une documentation cartographique et, le cas échéant, la biographie des personnes dont le nom est proposé.

3. Lorsqu’il s’agit de modifier un nom existant, les riverains de la rue concernée doivent en être avisés à l’avance et disposer d’un délai de 15 jours pour faire part de leurs réclamations éventuelles. Remarque. — Cette consultation n’est pas obligatoire lorsque le changement s’impose par suite des homonymies dues aux fusions. La circulaire officielle prévoit que, sauf raison valable, le nom original est maintenu pour la rue la plus peuplée. Même dans ce cas, certaines communes ont consulté les intéressés. Cela paraît de saine démocratie.

4. Les noms des bâtiments ne sont pas du ressort de la Commission royale de toponymie et de dialectologie. Ni non plus les chemins tracés dans des propriétés privées. Mais s’il s’agit, dans un lotissement, d’une voirie destinée à être reprise par la commune, notre Commission doit donner son avis. Elle ne peut s’engager en tout cas à reconnaître les faits accomplis dans ces conditions.

II. Quand peut-on changer un nom de rue ?

Les noms de rues ont comme premier but de rendre service, en permettant de localiser les habitations, les biens, les bâtiments publics, aussi bien pour trouver facilement ce que l’on cherche, pour les envois postaux, en cas d’appel aux pompiers, etc., que pour les actes notariés et pour les documents administratifs. Tout changement entraîne des
inconvénients : les particuliers doivent remplacer leurs cartes de visite, leur papier à lettres ; les commerçants, des documents plus nombreux encore ; il faut modifier les registres de population, ainsi que les inscriptions hypothécaires, où la moindre inexactitude peut avoir de fâcheuses conséquences.
On constate d’ailleurs que les habitants restent souvent fidèles à d’anciennes dénominations : par exemple, place du Sablon à Wavre (officiellement, place Bosch), ce qui prouve que l’on a inutilement bouleversé les habitudes.
D’autre part, les noms de rues appartiennent au passé de la commune, à son histoire. Il est toujours regrettable de faire disparaître ces précieux vestiges, tout autant que des sculptures anciennes ou que des maisons typiques.
On ne change pas un nom de rue parce que l’on veut rendre hommage à une personnalité, mais parce que ce nom présente pour des habitants des inconvénients sérieux, inconvénients plus graves que le changement lui-même, c’est-à-dire :

1° Quand il y a dans la même commune un nom identique ou un nom tellement ressemblant que des confusions sont inévitables. Remarque. — On peut admettre qu’une place porte le même déterminant que la rue dans laquelle elle est comme insérée. Dans ce cas, il est souhaitable de prévoir que la numérotation des maisons forme une suite continue. En dehors de ce cas, on ne considérera pas que la différence des déterminés (rue du Bois, avenue du Bois) est suffisamment distinctive.

2° Quand le nom est porté par des tronçons qui ne sont pas dans le prolongement l’un de l’autre ; a fortiori, quand ces tronçons ne sont pas en communication directe (par exemple, à la suite de la construction d’une autoroute ou même parce que la rue transversale a été transformée en boulevard).

3° Lorsque la majorité des habitants de la rue trouvent le nom déplaisant. Remarque. — Même dans ce cas la Section wallonne de la Commission peut estimer que la proposition n’est pas fondée, notamment lorsqu’il s’agit d’un nom appartenant à la tradition. Il faut se méfier des réactions passagères ou des susceptibilités sans fondement (rue des Bœufs) ou de l’imitation aveugle des usages citadins.

4° Lorsque le nom ne correspond plus à l’état des lieux : si une impasse est transformée en rue, un chemin en avenue, etc. Cela ne vaut pas pour le déterminant, qui conserve légitimement des souvenirs du passé : rue des Dominicains, même s’il n’y a plus de couvent dans la rue. Cependant, si le déterminant est de nature à induire en erreur (une rue de la Gare qui ne conduirait plus à la gare), le remplacement peut être considéré comme souhaitable.

III. Quel nom choisir ?

1. La préférence doit toujours être donnée aux noms appartenant à la tradition : soit le nom ancien de la rue s’il s’agit d’une rue dont le nom actuel doit être remplacé ; soit le nom usuel s’il s’agit d’une rue sans dénomination officielle ; soit le nom d’un lieu dit de l’endroit ou du voisinage s’il s’agit d’une rue tout à fait nouvelle. Ce lieu-dit peut être emprunté aux documents cadastraux. Remarque. — Une autre possibilité pour les rues déjà pourvues d’un nom est de choisir un nom en rapport avec l’ancien : rue de l’Église > rue de l’Église Saint Pierre ou rue Saint-Pierre ; place > place de + nom de l’ancienne commune.

2. À défaut de nom traditionnel, on doit préférer en second lieu les noms descriptifs, c’est-à-dire ceux qui partent d’une caractéristique de la rue : le lieu vers lequel elle se dirige; les bâtiments importants qui la bordent ; la forme de la rue (rue Longue) ; la végétation particulière qu’on trouve aux abords ; etc.

3. Sont très bons aussi les noms inspirés de l’histoire et du folklore de la localité.

4. Lorsque ces diverses possibilités sont exclues, on doit bien, surtout dans des quartiers où plusieurs rues nouvelles se créent en même temps, recourir à des noms plus arbitraires, c’est-à-dire sans lien avec la réalité locale. Il faut éviter cependant les notions abstraites, livresques (rue des Gloires nationales, rue de la Tempérance), et préférer des réalités bien concrètes, concernant la nature et la vie quotidienne. Lorsque c’est tout un quartier nouveau qui se crée, il paraît commode de choisir des noms réunis par un thème, par exemple des plantes, des artistes, etc.

  • Remarque générale sur les noms de personnes. — S’il s’agit de personnes décédées depuis plus de cinquante ans, il n’y a normalement aucune objection à formuler.
    On n’accepte pas les noms de personnes vivantes, sauf ceux des chefs d’État. Notons que pour les personnes de la famille royale, l’autorisation doit être demandée au Roi par l’intermédiaire du ministre de l’Intérieur.
    Quand il s’agit de personnes décédées depuis moins de cinquante ans, il faut s’assurer que leur nom mérite effectivement d’être rappelé, dans cinquante ans et davantage, au souvenir des générations futures, parce que l’œuvre de ces personnes ou leur rôle ont été particulièrement remarquables. Il est, naturellement, difficile d’avoir une opinion ferme dans tous les cas, mais il semble qu’il faille tout au moins :
    • 1° Freiner le recours aux noms de personnalités politiques (source unique pour beaucoup de communes) ;
    • 2° Limiter la proportion des noms de personnes (6 sur 6 noms nouveaux, par exemple est excessif) ;
    • 3° Exclure les noms choisis en fonction d’événements, appartenant à la vie privée (comme un centenaire) ;
    • 4° Éviter les noms difficiles à écrire et à prononcer, notamment les noms étrangers dont le système graphique s’écarte du français : Lloyd, Allende. Cela est vrai en dehors des noms de personnes, par exemple le nom d’un régiment anglais ;
    • 5° Éviter les noms prêtant à équivoque ou à dérision. Ceci peut s’appliquer aussi à d’autres déterminants que les noms de personnes.

IV. Quelle forme donner au nom ?

1. Il faut rappeler que la langue administrative de la Wallonie est depuis toujours le français. Les mots dialectaux ne sont pas admis lorsqu’ils correspondent littéralement à des mots français : c’est le cas de molin pour moulin, de tchèstê, tchèstia. castiau, etc. pour château ; c’est aussi le cas pour les mots grammaticaux (prépositions et articles). Remarque. — Il est loisible de porter, sur les plaques indicatrices, la dénomination dialectale en dessous de la dénomination française ; cette forme dialectale doit être écrite correctement, selon l’orthographe reçue pour le wallon (orthographe Feller).

2. L’observation qui vient d’être faite ne concerne pas le français régional. On peut et même on doit garder les désignations locales, même dialectales, lorsqu’elles sont intégrées au français parlé de l’endroit ; on les écrira de façon à reproduire le plus fidèlement possible la prononciation (dans les limites de ce que permet le système graphique du français). À plus forte raison est-il admis que l’on utilise des termes du français régional qui n’appartiennent pas au français commun : drève, chavée, pachis, tienne, trieu, courée, vinave, Chéravoie, etc.

3. L’orthographe doit être correcte : par exemple fuchsias et non fuschias ; trait d’union entre Saint et le nom du saint : rue Saint-Pierre. Lorsqu’il s’agit de dénominations locales, on écartera les graphies qui altèrent la prononciation : par exemple dans l’Est, xh, les finales heid et faz ; écrire : hore (et non xhore), Ernonhé, Warfa. Dans le Hainaut, écrire Chaussée Brunehaut et non Brunehault. Si les imperfections des graphies traditionnelles n’ont pas de conséquence phonétique, comme h dans thier ou y dans Méry, on peut se montrer indulgent. Il est pourtant difficile d’accepter que le suffixe namurois ia, correspondant à eau français soit écrit iat. Les dénominations empruntées au cadastre doivent être examinées attentivement, pour que ne soient pas entérinés des cacographies et des monstres. La langue administrative étant le français, il ne paraît pas possible d’introduire dans l’orthographe toutes les nuances de la prononciation locale et particulièrement des procédés contraires au système graphique du français : par exemple å dans la région liégeoise. En France, on met souvent, mais pas toujours, un trait d’union dans rue Émile-Zola, avenue du Roi-Albert. Il n’est pas nécessaire d’adopter cet usage en Belgique.

4. Des abréviations sont à exclure : rue Saint-Pierre, rue du Père Damien, et non rue St-Pierre, rue P. Damien. De même les initiales des prénoms : rue Jean Dupont et non rue J. Dupont.

5. La syntaxe doit, elle aussi, être correcte. Même si l’usage local est de dire rue Cathédrale pour rue de la Cathédrale et avenue Cardinal Mercier pour avenue du Cardinal Mercier, il est préférable que la plaque indicatrice respecte la règle stricte. C’est seulement avec un nom de personne sans titre que l’on supprime le de : avenue Albert ou rue Astrid, mais avenue du Roi Albert, rue de la Reine Astrid .

6. Le choix des déterminés (rue, avenue, etc.) doit correspondre à la réalité des lieux. Il n’est pas nécessaire, surtout à la campagne, que le déterminé (rue, etc.) soit toujours présent : on préférera Sur les Champs à rue Sur les Champs. On écartera en tout cas les redondances du type rue Crapaurue, rue Féronstrée, rue Grand-Route, rue Chéravoie.

7. Éviter les noms trop longs. Lorsqu’il s’agit d’une personne, ne pas indiquer son titre : rue Léopold Doutrepont et non rue du Bourgmestre Léopold Doutrepont. S’il s’agit d’une personne tout à fait illustre et si elle porte un nom peu fréquent, on peut laisser tomber le prénom : rue Lamartine plutôt que rue Alphonse de Lamartine, mais jamais rue A. de Lamartine. Sur la plaque indicatrice, des précisions peuvent être données à la suite du nom de la rue. Cela est même tout à fait souhaitable, chaque fois que la dénomination n’est pas parlante par elle-même.

8. Les communes à facilités de la région wallonne doivent donner aussi une forme néerlandaise des noms de rues. C’est la section wallonne qui est interrogée à ce sujet. Elle prendra les informations nécessaires pour que la forme soit correcte et respecte les usages suivis dans la région flamande.

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